Les révélations de ma thèse :
Dimensions et espaces de l’atelier d’écriture
Thèse de doctorat soutenue sous la direction de René Barbier, Université Paris VIII, Département de Sciences de l’éducation, en 1998.
J’ai entrepris cette thèse afin de comprendre pourquoi les ateliers d’écriture que j’avais développés déliaient l’écriture de ceux qui étaient en échec dans le cadre scolaire. Je voulais comprendre aussi la puissance des écritures advenues dans mes ateliers.
Je reprends ici les apports de ma recherche, que je désigne comme révélations, comme si, dans mon travail, j’avais décanté certains mystères.
L’acte d’écriture et l’instant
Je pars du constat que l’écriture en jeu ne représente pas du tout la même chose pour moi, que pour mes élèves en difficulté, ou pour les scripteurs dans mon atelier. Il me devient impossible de traiter l’écriture comme institution, ou comme une instance, stable et définissable.
J’aborde alors l’écriture en tant que pratique humaine. Écrire est un acte.
Je choisis de partir de l’instant, d’un instant d’écriture, pour ne pas réduire la multiplicité de ce qu’y vivent les différents acteurs. Cette décision résulte d’une réflexion sur l’importance cruciale, décisive, de l’instant. Cela déconstruit les approches appareillées des différentes disciplines anthropologiques, (sociologie, psychologie, ethnologie), et de leurs systèmes.
Mais cela met en œuvre un référent métaphysique, car qu’est-ce que l’instant ?
Remuement d’autant plus insupportable que l’on peut affirmer paradoxalement, à la fois, que :
– l’être c’est l’instant,
– et que l’instant n’existe pas, qu’il est insaisissable.
Nous voilà propulsés dans la complexité, une complexité nouvelle, miroitante et non académique.
Telle est la première originalité, la première révélation de ma thèse :
Celle de l’instant d’écriture.
De l’inscription à l‘écriture
Partant d’une visée anthropologique, j’utilise l’atelier d’écriture comme champ d’observation du surgissement et du cheminement d’écriture. J’explore les dimensions groupales de l’atelier, qui peuvent induire ou soutenir l’écriture, mais ne révèlent rien sur sa teneur ou sa genèse.
Il y a des ouvertures essentielles, celle des histoires de vie et d’écriture, celle des dynamiques groupales des différents ateliers, mais surtout il résulte de l’observation que l’on peut moduler l’acte d’écriture en 2 temps :
– celui de l’inscription, qui est aveugle ;
– celui de l’écriture, où intervient le regard, et éventuellement le groupe.
Donc là aussi, de l’inscription à l’écriture, s’opère une distinction cruciale, une révélation.
Des dimensions à l’espace d’écriture
C’est là que l’on découvre, au-delà des dimensions et de la socialité ou historicité de l’écriture, de ses cultures et de ses grammaires, un espace transversal, silencieux, transcendant au sujet :
Un espace ouvert et énigmatique dans le silence de l’écriture, invisible au regard et aux analyses de l’observateur.
Il faut alors en revenir aux études poétiques et littéraires, ou bibliques sur l’écriture et ses transcendances.
Ce qui ne plaît pas trop aux anthropologues et déborde le champ de leurs prérogatives universitaires.
L’écriture, inscription des temporalités
Pour élucider le mystère et la puissance des productions d’écriture en atelier, je procède à l’étude détaillée du jeu des contraintes particulières que j’ai découvertes en travaillant avec l’Oulipo :
Ce sont des contraintes formelles, qui décrochent l’écriture de son lien aux significations, et transcendent sa fonction de vecteur du sens.
Cela nous propulse hors de tous les utilitarismes de communication et de management par l’écriture, et nous permet de reléguer le verbiage fonctionnel, promotionnel, qui dénature les écrits et les significations d’aujourd’hui. Dans cette nouvelle approche, l’écriture existe en tant que corps, en tant que danse, en tant que respiration.
C’est ce que révèle l’étude des consignes et de leur incidence dans l’atelier. Alors l’écriture, libérée de son assujettissement au sens, devient inscription, inscription du sujet, c’est à dire inscription des temporalités, inscription du temps.
Nous rencontrons ici la quatrième révélation: L’être, le sujet, l’écriture, c’est le temps.
Les deux temporalités primordiales
On ne peut d’ailleurs pas parler d’un temps un, mais de deux modalités ou mouvements du temps, de deux temporalités ou, que révèle le jeu des consignes et des mouvements d’écriture : ouverture ou coalescence. C’est là une grande révélation, la plus essentielle sans doute, cette respiration primordiale entre deux temporalités, dont on peut alors suivre différentes combinaisons.
Un temps immobile, coalescent, qui est entre autres celui du tragique. Un temps où l’un est l’autre.
Un temps de dérive, divergent, qui est aussi celui du poétique. Un temps où l’autre est l’un, cet un toujours autre qui n’est jamais identique à lui-même.
Ces temps sont indissociables. Ils se conjuguent de différentes manières. Une de leur alternance très serrée peut prendre l’apparence du discursif et de la continuité, grand vecteur de découvertes, mais aussi combinatoire secondaire qui peut en revenir à une dominante immobile ou divergente. Le temps discursif est celui de la logique et de la narration, celui de la métaphore, du déplacement, où l’un peut devenir équivalent à l’autre. Équivalent mais non identique, attention aux grandes illusions du monétaire, du numérique, du virtuel.
Ce sont là les respirations de l’écriture, élucidées et impulsées en atelier.
Ces respirations, inscrites dans l’écriture, permettent de dresser une typologie des genres et des productions littéraires, qui elles-mêmes inscrivent l’homme en sa condition.
Opérateurs et opérations d’écriture
Ce sont là les respirations fondamentales du temps. Ce point de vue nous permet d’élucider les notions de transformation, de création.
Le lien inéluctable entre ces deux respirations nous permet aussi de conscientiser qu’à tout progrès correspond un contrepoint ou contrepoids. Cela permet de démythifier l’illusion d’un progrès ou d’une création qui seraient absolus. Alors, on peut édifier un fascinant tableau des opérateurs et des opérations d’écriture, de ce qui œuvre dans cette transcendance de l’écrit, ave ses parts de magie et de transformations.
En cela s’opère ce jeu des temporalités, non seulement dans l’écriture, mais aussi de manière plus globale, dans les liens entre l’homme, l’esprit et le monde.
Telles sont les contributions, les révélations de ma thèse.
Elles permettent d’instituer et d’instaurer un atelier d’écriture.